En ce doux printemps de l’année 1965, au cœur du pittoresque village du Beausset, se dressait fièrement le salon de coiffure de Jean Lou Richelmi, véritable sanctuaire de la beauté capillaire, devenu aujourd’hui Nonni. Jean-Lou, homme de labeur et de rigueur, coiffait avec une précision d’horloger les têtes de tous les notables du village. Et c’est sous son aile bienveillante que Lolo, jeune apprenti au visage encore poupon, apprenait l’art délicat du ciseau et du peigne.
Un après-midi, alors que le soleil illuminait la place principale du village, Jean-Lou, dans sa sagesse inébranlable, nous confia à Lolo et à moi, votre modeste narratrice, une tâche d’une simplicité enfantine : faire le ménage du salon. « Point besoin de talent pour cette besogne, mes chers enfants, dit-il d’un ton autoritaire. Moi je me dis : « Une dose de Mir, une dose de Javel, et beaucoup d’huile de coude, et le tour est joué ! »
Armés de notre zèle juvénile, nous voilà partis, Lolo et moi, pour accomplir cette mission. Avec une science approximative de l’entretien ménager, nous versâmes Mir, Javel et des sceaux d’eau fraîche. Puis, tout à coup, comme si une mystérieuse alchimie s’était opérée, des vagues de mousse commencèrent à emplir le salon, inondant le sol avec une rapidité déconcertante.
« Une mer de mousse … au Beausset »
Paniqués mais résolus, nous décidâmes, avec une intelligence tout à fait discutable, de nous rendre à la fontaine du village pour y puiser de l’eau, de l’eau et encore de l’eau pensant naïvement que cela diluerait cette marée de mousse. Hélas, c’était sans compter sur la malice de ce savant mélange qui, au contact de l’eau fraîche, redoubla d’effervescence. Les pavés poreux du salon se gorgeaient de mousse à en perdre la raison, et bientôt, ce n’était plus un simple salon de coiffure mais une mer de bulles.
C’est alors que le drame se précisa : la cave, refuge des précieux secrets de Jean-Lou, se trouva à son tour inondée, non pas d’eau, mais de mousse blanche et glissante. Face à cette catastrophe, mon esprit fut traversé d’une idée des plus audacieuses : appeler les pompiers ! Mais Lolo, qui voyait déjà défiler devant ses yeux les remontrances du maître coiffeur, s’y opposa farouchement.
Le sort voulut que Jean-Lou revînt plus tôt que prévu, et ce fut une figure tantôt consternée, tantôt amusée, qui se dessina sur son visage en découvrant son salon métamorphosé en océan mousseux. Après quelques instants d’une stupéfaction muette, il prit une grande inspiration, et dans un soupir résigné, il déclara : « À partir de ce jour, ce sera toi, ma chérie, qui t’occuperas du ménage ! »
Et c’est ainsi que, malgré ce fâcheux incident, Lolo continua son apprentissage sous l’œil vigilant de Jean-Lou, qui, après tout, ne pouvait lui reprocher sa fougue d’antan. Quant à moi, je devins, bon gré mal gré, la gardienne de la propreté du salon, veillant à ce que plus jamais une telle débâcle ne se reproduise.
Mais dans les souvenirs du Beausset, cet après-midi de 1965 reste gravé comme celui où, sous une mer de mousse, nous avons presque fait naufrage au salon de coiffure de Jean-Lou Richelmi.
« Et au Beausset, croyez-moi, on en a vu d’autres… »